Le mandat du deuxième président de la République serbe, Dragomir Vasić, touche à sa fin, et le 5 octobre, de nouvelles élections auront lieu à la Skupština serbe.

 Selon la Constitution de 1926, la Skupština est une législature monocamérale élue par tous les citoyens, hommes et femmes, de la République serbe au scrutin libre, universel et secret pour un mandat de cinq ans. La structure gouvernementale de la Serbie est semi-présidentielle - le président est élu par le pouvoir législatif, tout comme le Premier ministre, mais dispose d'un pouvoir considérable en matière de politique intérieure et de nomination des fonctionnaires, en plus des devoirs habituels de représentation de l'État dans les affaires étrangères. Alors que le Premier ministre dépend du soutien de la Skupština, le président remplit un mandat prédéterminé de cinq ans, peu importe ce qui se passe au sein de la législature. Cela ne veut pas dire qu'il est tout-puissant, cependant, et qu'il a besoin du soutien parlementaire pour à peu près toutes les nominations et la législation.

 La campagne électorale en Serbie a commencé à la fin de l'année dernière et se poursuit en 1936. Alors que le monde se rapproche de guerre, tout comme les Balkans, la force qui remportera cette élection pourra décider du sort du pays pour les siècles à venir.

 La crise économique actuelle a porté un coup sérieux aux industries minières au Monténégro et manufacturières à Belgrade, et les travailleurs là-bas sont naturellement mécontents. Cela crée une masse radicalisée puissante pour que les radicaux de gauche en profitent et construisent leur soutien avec le Parti socialiste des travailleurs et son appel à l'autonomisation du travail est attrayant pour le Jovan moyen dans la rue. Ils rivalisent cependant pour ce créneau avec le Parti socialiste de Serbie - une rupture réformiste du SRP composé de son aile modérée, qui sert généralement de médiateur entre les républicains et les travailleurs socialistes. Bien qu'ils soient toujours intrinsèquement socialistes, ils déclarent que les conditions matérielles en Serbie ne sont pas propices à une révolution et que le socialisme peut plutôt être atteint par le biais du processus parlementaire. De quel côté cette masse se pliera-t-elle ?

 Le Parti radical du peuple, espérant mobiliser davantage de soutien pour sa campagne électorale, a commencé à former des organisations paramilitaires en uniforme pour servir de bras du Parti dans les campagnes. Ces organisations, nommées les Chemises vertes d'après leurs uniformes, sont l'idée de Milan Stojadinović, le chef du parti - et sont très clairement inspirées du succès de la Garde de fer voisine. Bien qu'il puisse sembler étrange pour un parti libéral et démocratique de copier les politiques d'un mouvement national-populiste radical, ce n'est pas non plus illégal. Dragomir Vasić et le Parti républicain serbe doivent maintenant prendre une décision sur la manière de répondre à la militarisation des radicaux.

 Les trois quarts de la population adulte serbe sont engagés dans l'agriculture, et la majorité absolue d'entre eux sont des agriculteurs de subsistance, cultivant à peine assez de nourriture pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. La crise économique a donc durement touché ces agriculteurs. Beaucoup se sont endettés dans les mois qui ont suivi le krach boursier et ont perdu leur maison, tandis que d'autres luttent pour subvenir à leurs besoins avec le peu de terre dont ils disposent. Cela a fait des questions agraires un sujet de discussion important lors des élections, et plusieurs partis ont été isolés en tant que favoris dans le précieux bloc de vote des agriculteurs. Le Parti agraire, dirigé par Milan Gavrilović et Jovan Jovanović-Pižon, a traditionnellement représenté les intérêts agricoles, mais n'a pas encore échappé à l'opposition. Les républicains ont traditionnellement été un parti centré sur les villes, mais nombre de leurs membres ont constitué des blocs de soutien dans les régions rurales d'Užice et du Monténégro au cours de la dernière décennie. Et enfin, les Socialistes Radicaux avec leur programme de redistribution radicale des terres ont hâte de profiter de la crise…

 Fondé à l'origine sous le nom de Parti républicain démocrate, les républicains se considèrent comme les successeurs des radicaux indépendants de l'ère pré-Weltkrieg, son aile gauche, faction républicaine-sympathique en particulier. Elle a été fondée par Ljubomir Stojadinović et Jaša Prodanović en 1920 et s'est immédiatement opposée à la dictature royale d'Aleksandar II. Étant la faction démocratique la plus virulente en opposition au roi, elle a rapidement construit un soutien et a défendu la révolution républicaine. Dans la république serbe, c'est le plus à gauche des deux principaux partis de l'establishment, l'autre étant le Parti radical du peuple.

 Aux élections de 1936, les républicains ont tout à perdre - ils ont été au pouvoir au cours des dix dernières années, sous les présidents Prodanović et Vasić, et fait maintenant face à l'opposition de la gauche et de la droite. S'ils cherchent à rester au pouvoir, ils doivent empêcher le centre de s'effondrer et s'assurer que ni les radicaux ni les travailleurs socialistes ne sont en mesure de rassembler une majorité sans eux. Quelle sera leur stratégie dans cette élection ?

 Le Parti radical du peuple est l'un des plus anciens partis politiques de Serbie, fondé en tant que parti réformiste libéral en 1881. Il a défini la politique serbe avant la Weltkrieg, dominant la scène politique sous les premiers ministres Sava Grujić et Nikola Pašić et défendant une réforme modérée. Cependant, il se brouilla avec la monarchie immédiatement après la fin de la guerre, car le dégoût personnel du roi Aleksandar II pour Pašić conduisit à son limogeage, le parti passant à l'opposition et finalement à la clandestinité. Il a soutenu à contrecœur la révolution républicaine de 1925 et se présente comme le plus à droite des deux principaux partis de l'establishment en Serbie.

 Les radicaux, dirigés par Milan Stojadinović, sont dans une position confortable. Alors que la gauche est en lutte interne, la droite est largement unie, car les radicaux et les agraires ont beaucoup de terrain en commun, tandis que les partis mineurs comme le Parti de l'État démocratique et les radicaux royalistes de Ljotić ne sont pas à craindre. Si cette droite puissante et stable devait être maintenue, seuls les radicaux pourraient être en mesure de former un gouvernement une fois les élections terminées. Quelle sera leur stratégie dans cette élection ?

 Le Parti socialiste des travailleurs a été fondé en 1919 en tant que fusion du Parti social-démocrate de Serbie, des organisations syndicales serbes et des socialistes monténégrins, et son idéologie est depuis restée un mélange syncrétique de toutes les idéologies à gauche de l'establishment. Les syndicalistes, les socialistes marxistes, les sociaux-démocrates et les socialistes agraires ont tous trouvé leur place dans ce parti. Il a été interdit par l'Obznana pendant le régime d'Aleksandar II, mais a continué à opérer dans la clandestinité, a soutenu la révolution républicaine et a rejoint la politique parlementaire en tant que parti légal le plus à gauche de la Skupština.

 Le Parti socialiste des travailleurs doit mener une bataille difficile en l'élection. Même s'ils peuvent exploiter suffisamment de rhétorique anti-establishment pour parvenir à une pluralité, ils doivent toujours s'inquiéter de la possibilité d'une grande coalition antisocialiste entre les républicains et les radicaux. Par conséquent, leur objectif n'est pas seulement d'accroître leur propre soutien, mais de s'assurer que leurs alliés de gauche l'emportent sur les droitiers. Quelle sera leur stratégie dans cette élection ?

 La campagne électorale dans les classes laborieuses tourne progressivement à l'avantage des modérés ; les radicaux n'arrivent pas à convaincre malgré leurs grands discours sur l'autonomisation du travail.
 
 Les Républicains Démocrates, encore au pouvoir, tente de freiner les Chemises Vertes et d'empêcher la fondation d'une véritable milice paramilitaire. Malheureusement cela ne fonctionne pas, et cette organisation gagne en popularité auprès du peuple, et notamment auprès des revanchistes qui veulent une nouvelle guerre.
 
 Dans les campagnes, le programme de redistribution des terres des radicaux socialistes convainc la paysannerie, qui se rallie massivement derrière le Parti.
 
 Dans leurs discours de campagne, les Républicains Démocrates prennent un tournant inattendu en s'attaquant politiquement au Parti Radical du Peuple et pas aux Socialistes. L'empoigne entre ces deux géants politiques ne pourra que profiter au monstre bolchevik qui germe en Serbie !
 
 Les Radicaux, eux, sont beaucoup moins véhéments et préfèrent soutenir les Agrariens, dans l'espoir de nouer une alliance avec eux - alliance qui serait naturelle au vu de leurs idéaux politiques.
 
 Enfin, les Socialistes mettent en place un véritable Front Populaire Serbe pour les élections, afin de mettre au pouvoir une coalition de la gauche !

 Les résultats électoraux sont inattendus : le Front de Gauche des socialistes modérés et radicaux atteint 49% des voix ! C'est à la fois une joie et une immense déception pour les socialistes Serbes : il ne leur manquait que 2% pour obtenir une majorité. Fort heureusement, ils restent premier loin devant les autres candidats. L'alliance entre le Parti Radical du Peuple et le Parti Agrarien a obtenue 35% et les Républicains Démocrates ont obtenus 16%. Après négociations, ces derniers rejoignent le Front de Gauche afin d'avoir une coalition gouvernementale de toute la gauche, coalition qui sera dirigée par les socialistes modérés.